Cour d'Amour


Cour d’amour.

Scène I : Vendredi, 5 heures du soir, je fais mon tour dans les ruelles d’Apatou, deux fillettes, une dizaine d’années portent un lourd panier de « légumes verts » locaux : concombres longs et une espèce d’épinard, j’achète un concombre et une poignée de feuilles vertes …….elles prennent mon argent l’air interrogateur : « C’est toi qui fait la cuisine ! Ça ne te fatigue pas trop ? » Ici les petites filles descendent au Maroni avec la vaisselle à laver et plus grandes, on les voit dans les abatis à déterrer et mettre dans des sac les ignames, dachines ou manioc, elles sont aussi avec leur mères autour des grandes platines à griller le manioc qui vient de passer dans les grandes couleuvres pour en extraire le jus toxique. Très bientôt, vers 12 ; 14 ; 15 ans, elles auront leurs premiers enfants, elles rentreront totalement dans leur vie de femme, ce sont réellement des « africaines de Guyane ». Une femme n’est réellement femme que par sa puissance d’enfantement. Pour elle, la perte de la capacité d’enfanter est vécue exactement comme une impuissance chez l’homme. Quand on admet cela, on commence à pouvoir dialoguer et parler de contraception avec elles. Puissance de la femme mais caractère utilitaire des hommes du fleuve, souvent absents, pécheurs, piroguiers, maîtres du Maroni, mais dépendants des femmes et souvent manipulés par elles.

Scène II :Le lendemain samedi : Apatou , 15h30 , le soleil est encore bien haut , mais j’ai un rendez-vous d’amour, j’ai mis mes chaussures de marche , un pantalon solide , pris un sac à dos avec boussole , jumelles , lampe de poche , imperméable jaune hyper léger familier aux Taïwanais , et pris la piste qui part plein sud , après un arrêt à la micro boulangerie derrière la « pharmacie du fleuve » on est tout de suite dans la nature , mais la véritable forêt ne commence qu’après un dépôt le dépot d'ordure communal, une bifurcation à droite nous fait quitter la piste , on fait un petite grimpette , et nous voilà à l’orée des « grands bois » , ici commence « l’ailleurs » , la forêt Amazonienne s’empare de celui qui est sensible à ses envoûtements , et c’est la « cour d’amour » , elle ne vous lâchera plus . Aujourd’hui j’ai eu de la chance, une heure après « les ordures » j’étais au bord de la crique Hermina, un petit affluent rive droite du Maroni, un Morpho barré s’est laissé placidement photographier, une bande de perroquets est passée bruyamment dans le ciel et surtout une Harpie : le grand aigle des Guyanes, est passée silencieusement au dessus de moi, majestueuse puissance du plus grand prédateur des airs en Amazonie.
La crique Hermina est trop large et profonde pour la traverser en cette saison , je n’irai pas jusqu’aux sauts Hermina du Maroni ; un sentier discret à gauche me permet de descendre vers un affluent secondaire encombré de rochers , facile à traverser , un sentier commence en face que j’explorerai une autre fois , il se fait tard , hors des pistes , on s’égare vite la nuit dans l’obscurité profonde du sous bois : « Où mènent voyageur tes pas lourds ,se heurtent obstinément aux fûts puissants dressant leur élan fabuleux vers le ciel »
Le reste ne se raconte pas, il est mon intimité avec cette nature, ce socle rocheux fabuleux du massif des Guyanes, racine d’une des plus vieilles montagnes du monde, toujours présent là où je suis depuis 3,4 milliards d’années, avant l’apparition sur terre de toute vie animale. Ça fait tellement du bien cette force qui vient de cette terre, des arbres. Près de quatre heures de marche , pas la moindre fatigue , au contraire un sentiment de repos tellement fort , tellement profond ….
Scène III : Aujourd’hui Dimanche 5 mars 2006, je rentre dans la minuscule gargote du Capitaine Joseph Apomaï, jusqu’à sa mort, chef coutumier des habitants d’Apatou. Son « micro resto » est immédiatement derrière la mairie, les petits drapeaux Français et Européens font pendant aux grands drapeaux français et Européens décorant la Mairie. Il est là, honorable vieillard assis dans l’entrée, il semblait s’attendre à mon passage, me salut d’un « bonjour Docteur » accueillant et ferme. C’est le troisième Capitaine depuis la fondation d’Apatou par le Capitaine Joseph Apatou mort en 1895, il a succédé aux capitaines Yahoo et Yabahaa, il pourrait avoir dans les quatre vingt ans. Nous avons bu ensemble un verre de vin, je lui ai dit mon plaisir de lui avoir réservé mon premier contact officiel ; nous avons parlé de la vie, de la mort, des médecins et des guérisseurs, du quotidien et de l’éternel, de ma rencontre avec la Harpie, de mon désir de vivre à Apatou. Le contact est réalisé, quand j’aurai un problème délicat, je solliciterai son conseil avant d’en parler au Maire ou aux gendarmes …..Je lui réserverai ma première visite avec Nicole quand elle sera enfin citoyenne d’Apatou !

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